Atlas Social du Mans

Enjeux d'aménagement et inégalités territoriales

Les contradictions de l’économie circulaire : réduire les déchets ou les utiliser comme ressources énergétiques dans l’agglomération mancelle ?

par Nicolas Cochard, Mathieu Durand, François Ory et Adeline Pierrat

planche publiée le 04 avril 2023

L’économie circulaire est l’un des modèles cherchant à concilier transition écologique et croissance économique. Cette articulation est en réalité difficile à mettre en place, comme l’illustrent les tensions que ce concept peut générer autour des déchets.

1La rudologie est une discipline qui a émergé dès 1985 en tant qu’étude systémique des déchets, sous l’impulsion de Jean Gouhier, géographe à l’Université du Mans. Ces premiers travaux ont permis de collecter des données anciennes (Données collectées par Juliette Dutilleux [Master histoire] dans le cadre d’un stage au laboratoire ESO) de production de déchets sur le territoire du Mans durant les années 1980-90 et ainsi de les comparer à la production actuelle (Figure 1). On remarque alors localement une augmentation très forte de la production de déchets ménagers et assimilés entre 1992 et 2019. À l’échelle du Pôle Métropolitain actuel du Mans, en 1992, cette production oscillait entre 252 et 327 kg par habitant et par an, contre 416 à 803 kg en 2019. Cette croissance très forte de la production de déchets s’observe dans les mêmes proportions au niveau national, résultant de l’augmentation de la consommation matérielle des habitants et des activités économiques.

2À Le Mans Métropole et dans les communautés de communes riveraines, la croissance de la production de déchets est au minimum multiplié par 1,5 dans chaque Établissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI). Elle est parfois même triplée entre les deux dates, par exemple dans la communauté de communes Sud-Est du Pays manceau, du fait de la forte augmentation du niveau de vie des habitants de ce territoire (22 506 € de revenus annuels moyens par habitants, soit le chiffre le plus élevé de tous les EPCI du Pôle métropolitain du Mans ; INSEE 2017).

3Par ailleurs, le rapport s’inverse entre les communes centres et les périphéries. En 1992, le territoire de Le Mans Métropole produisait plus de déchets par habitant que les communes périurbaines avoisinantes (Le Mans Métropole et les communautés de communes voisines n’avaient pas le même périmètre en 2019 qu’en 1992. Pour les besoins de la comparaison cartographique, ce territoire a été, dans nos cartes, artificiellement reconstitué dès 1992 sur la base des données communales). En 2019, c’est le contraire (exception faite de la communauté de communes Maine Cœur de Sarthe). Cette inversion est due à l’augmentation du niveau de vie, plus forte dans le périurbain que dans le cœur de l’agglomération (cf. une longue histoire d’inégalités écologiques et environnementales dans l’aire urbaine du Mans). L’augmentation de la production de déchets est dans tous les cas généralisée et très marquée.

Fig 1- Évolution de la production de déchets entre 1992 et 2019 dans le Pôle métropolitain du Mans

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Sources : PDEMA, 1992 ; Rapports annuels de la gestion des déchets, 2019.

4Parallèlement à l’augmentation de la production de déchets, la ville a progressivement étendu son réseau de chaleur urbaine (Figure 2), essentiellement alimenté par l’incinération des ordures ménagères résiduelles (déchets non triés et non recyclés). Le réseau de chaleur, datant des années 1960, a été largement étendu à partir de 2018 et entièrement connecté à l’Unité de Valorisation Énergétique des Déchets (UVED - c’est à dire l’incinérateur de déchets), qui produit aujourd’hui 80 % de sa chaleur (Synergie, 2020). L’équivalent de 18 000 logements des quartiers sud des villes du Mans et d’Allonnes, situés à proximité immédiate du réseau de chaleur (Figure 2), y sont raccordés pour le chauffage et l’eau chaude. Cela représente 21 % des logements de ces deux communes (INSEE, 2019).

5Le réseau de chaleur du Mans est un élément phare dans le développement d’une économie circulaire locale. Ce réseau se fonde sur les échanges locaux de flux de matière et d’énergie, correspondant à l’un des sept piliers de l’économie circulaire : l’écologie industrielle et territoriale. Il s’agit également d’une infrastructure clef de la production d’énergie dite renouvelable. Or cette énergie « renouvelable » est en réalité produite à la base de déchets. Elle dépend donc du maintien du niveau actuel (élevé) de production de déchets (Figure 1). Or l’action qui doit être privilégiée, selon la législation en vigueur (Rappelée dans la loi AGEC de 2020), est celle de la réduction des déchets. La valorisation énergétique des déchets ne doit donc pas constituer un faire-valoir permettant de ne travailler que de façon limitée à la réduction de ces déchets. C’est pour cela que l’ensemble des collectivités du Pays du Mans se sont conjointement lancé, en 2022, en complément au réseau de chaleur, dans la rédaction d’un Programme Local de Réduction des Déchets.

Fig 2- Extension du réseau de chaleur du Mans entre les années 1960 et 2020

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Sources : Synergie, 2020 ; BD TOPO©, 2022. ESO Le Mans.

6Il est également nécessaire de veiller à ce que les réseaux de chaleur ne soient pas totalement dépendants de l’incinération des déchets au risque de manquer in fine de déchets. C’est par exemple la situation dans laquelle se trouve la Suède, qui valorise énergétiquement 52 % de ses déchets ménagers et assimilés (Eurostat, Chiffres de 2019) contre 31 % en France (ADEME, 2021, Les chiffres clefs des déchets 2020, 80 p.) et dont 26 % des ménages sont chauffés par les déchets. Le pays doit ainsi chaque année importer, en provenance d’autres pays européens, au minimum 21 % de ses besoins en déchets pour alimenter ses systèmes de chauffage urbain (Emma Bergman, ONG Rio on Watch et Université de Lund, 2019). Bien que non imminente ni en France ni au Mans, une telle dépendance aux déchets pour le chauffage urbain doit être anticipée dans l’éventualité d’une réduction massive des déchets tel qu’encouragée par la législation. Le Mans Métropole anticipe par exemple ces difficultés en diversifiant les sources d’approvisionnement de son réseau : au-delà des 80 % de chaleur issue de la combustion des déchets, les 20 % restant sont aujourd’hui produits par des chaudières à gaz. Des réflexions sont toutefois en cours pour développer la production d’énergie à travers la biomasse produite sur le territoire (notamment la méthanisation).

Pour citer ce document

Nicolas Cochard, Mathieu Durand, François Ory et Adeline Pierrat, 2023 : « Les contradictions de l’économie circulaire : réduire les déchets ou les utiliser comme ressources énergétiques dans l’agglomération mancelle ? », in G. Bailly, A. Gasnier, S. Angonnet, Atlas Social du Mans [En ligne], eISSN : 2968-0247, mis à jour le : 24/05/2023, URL : https://atlas-social-du-mans.fr:443/index.php?id=783, DOI : https://doi.org/10.48649/asdm.783.

Autres planches in : Déchets, rudologie et économie circulaire

Crédits : A. Renaudin, 2023.

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Carte : ESO Le Mans, 2022.

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Carte : ESO, Le Mans, 2020.

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Index géographique

Résumé

L’économie circulaire est l’un des modèles cherchant à concilier transition écologique et croissance économique. Cette articulation est en réalité difficile à mettre en place, comme l’illustrent les tensions que ce concept peut générer autour des déchets.

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