Atlas Social du Mans

Enjeux d'aménagement et inégalités territoriales

Espaces et flux de la « bioéconomie circulaire » : production, collecte et traitement des biodéchets manceaux

par Simon Joxe et Adeline Pierrat

planche publiée le 13 juin 2023

Comment la « bioéconomie circulaire » s’incarne-t-elle à l’échelle d’un territoire ? Cette planche propose d’interroger de manière exploratoire les dimensions matérielles et spatiales de ce nouveau paradigme d’économie politique appliqué à la métropole du Mans. Elle invite à dépasser la catégorie des biodéchets ménagers, ayant un poids relativement faible dans le métabolisme urbain, pour s’intéresser à tous les types de biodéchets (agricoles, professionnels, industriels etc.).

Pour comprendre le fonctionnement du territoire métropolitain, des données publiques sont mobilisées ainsi que des données collectées et traitées par les étudiants du master MIDEC en 2021 dans le cadre de leur mémoire (R. Pizarro, 2021 et C. Poussier, 2021).

1 Qu’est-ce que la « bioéconomie circulaire » ? Il s’agit d’une rencontre entre la notion de « bioéconomie » et celle d’« économie circulaire » (Stegmann et al., 2020). La bioéconomie peut être définie comme la « production de ressources biologiques renouvelables et la conversion de ces ressources et des flux de déchets en produits à valeur ajoutée, tels que les denrées alimentaires, les aliments pour animaux, les produits biosourcés et la bioénergie » (Commission européenne, 2012). L’économie circulaire promeut le bouclage des cycles de matières, sans être toutefois exempt de contradictions.

2 Comme l’a montré M. Giampietro (2019), deux récits antagonistes de bioéconomie circulaire coexistent : l’un « qui recherche une croissance économique perpétuelle » basé sur le progrès technologique et l’autre « qui réfléchit aux limites de la croissance économique imposées par la nature ». Cette seconde approche mobilise le concept de métabolisme pour caractériser les systèmes socio-écologiques et distinguer les flux de biomasses qui peuvent ou ne peuvent pas être remis en circulation. La biomasse, c’est-à-dire la somme des matières organiques récentes et non fossiles d’origine biologique, est l’une des ressources fondamentales de tout système socio-économique (Krausmann et al., 2008). À l’heure de l’injonction réglementaire au tri à la source des biodéchets (biomasse ayant le statut de déchets) ménagers, qu’en est-il pour la métropole du Mans ?

Comprendre la place des biodéchets dans le métabolisme urbain du Mans

3 Le métabolisme urbain, vu comme « l’ensemble des flux d’énergie et de matière permettant le fonctionnement des villes » (Bahers et al., 2019) est un concept utile pour identifier les flux de biomasse de la métropole mancelle. L’analyse des flux de matières consiste à mesurer les importations, exportations, extractions et rejets de matières à l’intérieur d’un territoire. Appliqué à la biomasse, le diagramme ci-dessous présente une première approche des rejets du métabolisme urbain : les flux de biodéchets des services de la métropole mancelle. Le total des tonnages relevés (30 000 t environ) est relativement faible au regard des autres types de flux de biomasses (importations, exportations et extraction). En effet, pour donner un ordre de grandeur, l’importation de biomasse représentait 1 849 000 t et l’exportation 1 335 000 t en 2012 (Données, projet MUEED-Métabolisme urbain, Empreinte écologique, Déchets, 2013-2015).

Fig 1- Diagramme de flux des biodéchets des services de Le Mans Métropole

Image

Sources : R. PIZARRO, 2021. S. JOXE, 2022.

4 Les biodéchets peuvent être classés en fonction de leur apparence (verts, bruns), de leur provenance (ménagers, professionnels, industriels) ou de leur composition chimique (Carbone, Azote, Potassium… ). D’après les estimations (annexe 1), on note qu’une part importante des biodéchets « autres » (en orange), issue des Ordures Ménagères Résiduelles (OMR), donc des ménages, n’est pas triée à la source.

5 Or à horizon 2024, toutes les collectivités françaises devront proposer un service de tri à la source des biodéchets pour éviter que ce flux de biodéchets ne soit incinéré. C’est donc bien un enjeu de bioéconomie circulaire qui se pose au sein de la métropole du Mans que de détourner ce flux de 10 379 t aujourd’hui incinéré à Syner’val, l’unité de valorisation énergétique des déchets (UVED) mancelle qui permet de brûler les déchets et de récupérer l’énergie issue de cette combustion. Dans ce centre de traitement, les déchets ménagers non-recyclables permettent ainsi de produire de l’énergie thermique et électrique. Le compostage domestique par exemple, participe déjà au détournement de la part des biodéchets présente dans les OMR à hauteur d’environ 1 371 tonnes (annexe 2).

Une approche spatialisée et circulaire des services de gestion des biodéchets

Fig 2-Les espaces de production des biodéchets

https://geoapps.huma-num.fr/adws/app/569c1006-bcee-11ed-94c2-fd760ed03446/

Sources : OpenData Le Mans Métropole, 2021, SIRENE, 2022, Corine Land Cover, 2018, S. Joxe, 2022. A. Renaudin, 2023

6 La spatialisation des espaces de production des biodéchets montre une concentration des producteurs de biodéchets « autres » (cuisine, épluchures, etc.) liée à la densité urbaine : l’habitat, les marchés, les équipements publics. Les biodéchets professionnels sont inégalement répartis sur le territoire métropolitain avec des centralités commerçantes dans le centre et la présence de potentiels gros gisements, notamment d’industries alimentaires, en périphérie. Les biodéchets verts et bruns sont produits par des espaces verts et des forêts plutôt dispersés, mais sur des surfaces importantes au Sud du territoire.

7 Si la production des biodéchets se concentre plutôt dans le centre-ville, dans les centralités marchandes et les zones industrielles de la métropole, les espaces de collecte suivent la même logique spatiale. Les figures 2 et 3 montrent la complexité des flux de biodéchets dont les producteurs sont très différents (ménages, agriculteurs, professionnels, industriels…) tout comme les acteurs des différentes filières de valorisation (compostage ou méthanisation).

Fig 3-Les espaces de collecte/traitement des biodéchets

https://geoapps.huma-num.fr/adws/app/d9afcb80-c350-11ed-a824-8b5cd6775fbd/

Sources : OpenData Le Mans Métropole, 2021, SIRENE, 2022, Corine Land Cover, 2018, S. Joxe, 2022. A. Renaudin, 2023

8 Le diagramme de flux a donné à voir les différents modes de valorisation en volumes. La spatialisation des infrastructures, tel que la plateforme de compostage d’Allonnes ou l’incinérateur Syner’val, montre qu’elles se situent dans les espaces périphériques de la métropole. Cela traduit d’une centralisation des modes de valorisation des biodéchets manceaux. La carte des déchets agricoles ci-dessus montre que la production d’effluents d’élevages (en tonnes de matière sèche) se situe majoritairement à l’Ouest du territoire (annexe 3), avec une majorité d’excréments de bovins et de volailles. S’agissant des effluents humains, les stations d’épurations maillent le territoire et la plus importante, celle de La Chauvinière a pour débouché une unité de méthanisation.

9 Quels sont ensuite les sols susceptibles de recevoir la matière organique issue des différents flux de biodéchets métropolitains ? La couche Corine Land Cover (2018) nous permet de spatialiser les différentes terres arables, c’est-à-dire les sols cultivés ayant des besoins de fertilisations. Sur le territoire de la métropole du Mans, les sols potentiellement réceptacles de matière organique sont situés à l’Ouest et au Nord. Un renforcement des échanges de flux de biomasse peut être envisagé entre centre urbain (producteur de biodéchets) et ceinture agricole métropolitaine (demandeur de matière organique).

10 Les sols agricoles cultivés ont besoin de fertilisation organique pour restituer des éléments chimiques (carbone, azote, potassium, etc.) qui sortent du sol par les plantes. Le type de fertilisation et sa mise en œuvre dépendent à la fois de la structure et de la texture du sol, du type de culture, des conditions pédoclimatiques et des pratiques de l’agriculteur. L’ingénierie de la fertilisation organique et du non-travail du sol sont des principes sur lesquels se basent de nouvelles pratiques agricoles d’agriculture de conservation des sols et d’agriculture biologique.

11Il existe également des sols présents dans les zones urbaines denses qui peuvent devenir réceptacle de matière organique. Il y a trois types d’espaces cultivés dans les zones denses de la métropole : les jardins partagés, les jardins familiaux (tels que l’on peut les trouver à La Chauvinière [rue des Grandes-Courbes] ou à Mon marché [chemin de la Presle]) et les trottoirs fleuris. Le déploiement de l’agriculture urbaine peut améliorer la gestion des biodéchets urbains, et ce au plus près des ménages, qui seront davantage incités à trier à la source, afin de participer au retour au sol de la matière organique.

12 Pour aller plus loin, l’organisation de la circulation des matières organiques pourrait se faire à plus grande échelle. Le Plan Alimentaire Territorial, à l’échelle du Pays du Mans (fiche 38, p. 52) se donne pour objectif la création d’un système alimentaire local et prévoit le développement de l’agriculture urbaine et péri-urbaine. Une piste pourrait être la création d’un réseau d’espaces cultivés en centre urbain et en périphérie de la métropole, comme à La Havane (Ginet, Beguin, 2018). Ces organopónicos sont des systèmes agroécologiques très productifs (20 kg/m2), adaptés aux densités urbaines et fondés sur la création d’un « sol vivant », à partir de matière organique et de compost. La valorisation locale des biodéchets peut donc se donner comme objectif la fertilisation et l’amendement d’une agriculture urbaine et péri-urbaine.

13 Ainsi, la bioéconomie circulaire peut s’incarner dans un territoire comme celui de la métropole du Mans, si les politiques publiques prennent au sérieux la transformation du métabolisme territorial, en couplant par exemple gestion des biodéchets et alimentation locale. Autrement, cette notion deviendra un nouveau remède miracle aux crises socio-écologiques dont les effets resteront chimériques.

Pour citer ce document

Simon Joxe et Adeline Pierrat, 2023 : « Espaces et flux de la « bioéconomie circulaire » : production, collecte et traitement des biodéchets manceaux », in G. Bailly, A. Gasnier, S. Angonnet, Atlas Social du Mans [En ligne], eISSN : 2968-0247, mis à jour le : 13/07/2023, URL : https://atlas-social-du-mans.fr:443/index.php?id=816, DOI : https://doi.org/10.48649/asdm.816.

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Bibliographie

Bahers J., Barles S., Durand M., 2019, « Urban Metabolism of Intermediate Cities: The Material Flow Analysis, Hinterlands and the Logistics‐Hub Function of Rennes and Le Mans (France) », Journal of Industrial Ecology, no 23 (3), p. 686‑698. https://doi.org/10.1111/jiec.12778

Giampietro M., 2019, « On the Circular Bioeconomy and Decoupling: Implications for Sustainable Growth », Ecological Economics, no 162, p. 143‑156. https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2019.05.001

Ginet P., Beguin C., 2018, « La Havane et ses organoponicos. De l’embargo américain à l’expansion néolibérale ». Contretemps : revue de critique communiste. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02076053

Krausmann F., Erb K.-H., Gingrich S., Lauk C., Haberl H.,2008, « Global patterns of socioeconomic biomass flows in the year 2000: A comprehensive assessment of supply, consumption and constraints ». Ecological Economics, no 65 (3), 471‑487. Scopus. https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2007.07.012

Stegmann P., Londo M., Junginger M., 2020, « The circular bioeconomy: Its elements and role in European bioeconomy clusters », Resources, Conservation and Recycling: X, no 6, 100029. https://doi.org/10.1016/j.rcrx.2019.100029

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Simon Joxe

Doctorant, Le Mans Université, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Étudiant en LP LP Métiers de l'Aménagement du territoire et de l'urbanisme, Le Mans Université, MSH Le Mans

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Résumé

Comment la « bioéconomie circulaire » s’incarne-t-elle à l’échelle d’un territoire ? Cette planche propose d’interroger de manière exploratoire les dimensions matérielles et spatiales de ce nouveau paradigme d’économie politique appliqué à la métropole du Mans. Elle invite à dépasser la catégorie des biodéchets ménagers, ayant un poids relativement faible dans le métabolisme urbain, pour s’intéresser à tous les types de biodéchets (agricoles, professionnels, industriels etc.).

Annexes (1)

Annexes

  • Annexe 1 : Le calcul de l’estimation des biodéchets « autres » est le suivant : 255 kg/hab./an (moyenne nationale Ademe) * 205 000 habitants (pop Le Mans Métropole) * 22,5 % (part des déchets putrescibles dans les OMR - MODECOM Ademe 2017) = 11 750 t/an (estimation).
  • Annexe 2 : Le calcul du compostage domestique moyen (1 371 t) : Une petite quantité des OMR, entre 9 et 14 % (soit entre 1 115 t/an et 1 627 t/an) ne sont pas incinérées parce qu’elles sont valorisées par la compostage domestique. Ce calcul a été réalisé en prenant la quantité de composteurs mis à disposition par le Mans Métropole (7 880 en septembre 2020) ce qui représentent environ 22 300 personnes. Ensuite, l’estimation du compostage domestique par l’ADEME, qui permet de valoriser entre 50 et 75 kg/hab./an de biodéchets par an. Cela donne : 22 300 * 50 kg/hab./an = 1 115 t/an ou 22 300 * 75 kg/hab./an = 1 672 t/an. Ceci n’intègre pas le compostage collectif et le compostage des professionnels.
  • Annexe 3 : Données AGRESTE des cheptels par commune (recensement agricole 2010) et ratios de l’ADEME (étude 2013).

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