Atlas Social du Mans

Enjeux d'aménagement et inégalités territoriales

Les déchets : une longue histoire d’inégalités écologiques et environnementales dans l’aire urbaine du Mans

par Sandrine Bacconnier, Nicolas Cochard, Mathieu Durand et Jeanne Perez

planche publiée le 20 mars 2023

Les inégalités environnementales et les inégalités écologiques sont des résultantes et des paramètres récurrents de la gestion des déchets à travers le monde. Les principaux territoires de production de déchets sont ainsi les pays, les régions ou les quartiers les plus riches (inégalités écologiques). À l’inverse, les déchets sont toujours envoyés pour leur traitement vers les espaces les plus pauvres (inégalités environnementales). Les mêmes logiques sont observées dans la région mancelle.

1Les déchets, par leur simple présence dans un espace donné et par leur transport (1/3 du transport routier en France concerne les déchets), peuvent être source de nuisances sanitaires, environnementales, mais aussi paysagères, foncières et socio-économiques, même s’ils sont aujourd’hui gérés dans de bonnes conditions au Mans. Persistent toutefois des inégalités environnementales dans le sens où les installations de gestion des déchets sont majoritairement situées à proximité des quartiers les plus populaires (quartiers ayant la plus grande part de logements sociaux et quartiers prioritaires de la ville). Ces quartiers sont alors les plus exposés aux nuisances potentielles, largement minimisées aujourd’hui par un contrôle strict des équipements de traitement des déchets et par un accroissement régulier des taux de recyclage ; et à la dévalorisation de l’espace, toujours d’actualité du fait de la présence d’installations industrielles de traitement des déchets.

2C’est ainsi que les installations de gestion des déchets du Mans sont en grande partie localisées dans la zone industrielle sud de la ville, entre la commune d’Allonnes (dont la zone urbaine sensible est composée aux 2/3 de logements sociaux) et les quartiers sud du Mans, où sont également situés les principales concentrations de logements sociaux (Figure 1). Ainsi, les populations qui vivent au plus près des lieux de collecte et de traitement des déchets sont les plus défavorisées. Ce constat caractérise les fondements des inégalités environnementales puisque les catégories sociales les plus pauvres demeurent les plus exposées aux nuisances associées.

3Comme dans la plupart des villes, les installations de gestion des déchets sont également situées à proximité de la rivière (ici la Sarthe) en aval du centre-ville. L’emplacement actuel des sites de gestion des déchets relève d’une causalité historique. En effet, jusqu’à la moitié du 20e siècle, une telle localisation permettait d’évacuer facilement le surplus de déchets dans les rivières, notamment en période de crue avec pour conséquence un impact très négatif sur la qualité des eaux.

Fig 1- Proximité entre installations de gestion des déchets et quartiers populaires

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Sources : données INSEE carroyées à 1 km, Filosofi 2019, travail de terrain 2021. ESO Le Mans.

4Par ailleurs, il est à noter que les populations ont un impact différencié sur l’environnement selon qu’elles soient riches (impact fort) ou pauvres (impact plus faible). Il s’agit alors d’une inégalité écologique (ou inégalité d’empreinte écologique). Ce phénomène est par exemple observable à travers la production de déchets par habitant : plus un foyer est aisé, plus il va consommer et ainsi participer à l’extraction de matières premières et à l’émission de gaz à effet de serre ; il va donc ensuite produire davantage de déchets. On retrouve encore une fois cette logique à toutes les échelles : celle des quartiers d’une même ville comme celle des continents du monde. Si les déchets bien gérés ne sont aujourd’hui que très peu émetteurs de nuisances directes, une forte production augmente toutefois les impacts négatifs de leurs traitements. Par ailleurs, produire beaucoup de déchets signifie avoir en amont beaucoup consommé et donc engendré l’extraction de nombreuses matières premières des milieux naturels. À titre d’exemple un habitant d’Antananarivo, capitale de Madagascar, va produire en moyenne 146 kg de déchets par habitant et par an, alors qu’un parisien en produira 475 kg (Durand et al., 2019). On retrouve également cet écart à une échelle plus locale entre le territoire de Le Mans Métropole, qui produit 461 kg de déchets (Les chiffres travaillés ici concerne l’ensemble des Déchets Ménagers et Assimilés) par habitant et par an d’une part, et les communautés de communes voisines où les revenus par habitants sont plus élevés, et dont la production de déchets atteint 531 (Val de Sarthe), 545 (Orée de Bercé-Belinois) ou encore 803 kg par habitant (Sud-Est Manceau), d’autre part (Figure 2).

Fig 2- Rapport entre la consommation annuelle d’énergie et le revenu médian des habitants

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Sources : Rapport annuel de la gestion des déchets des EPCI (Établissement public de coopération intercommunale), 2019 ; INSEE, 2017. ESO Le Mans.

5La carte (Figure 2) illustre ainsi les écarts de richesse évoqués précédemment entre le territoire central de l’agglomération (Le Mans Métropole) aux revenus par habitant plutôt faibles (20 370 €), et les communes périurbaines aux revenus plus élevés (21 788 € pour le Val de Sarthe, ou 22 506 € pour le Sud-Est Manceau). Seule la communauté de communes de la Champagne conlinoise et du pays de Sillé, au nord-ouest, possède des revenus médians par habitants plus faibles que ceux observés pour Le Mans Métropole. La carte (Figure 2) montre alors un panorama assez parallèle concernant les déchets, avec un territoire central qui en produit relativement peu, tandis que les communes périphériques de première couronne en produisent davantage. Seule la communauté de communes Maine cœur de Sarthe fait exception avec une production de déchets plus faible que celle du Mans (Ce différentiel vient probablement du fait qu’une part importante des déchets pondéreux [déchets verts et gravats de construction] peut être gérée directement par les ménages, sans passer par les installations de la collectivité [les déchetteries notamment] et donc sans être identifiée.). La permanence des inégalités écologiques précitées est donc avérée.

6Il convient de relativiser ce constat en mobilisant également les chiffres de la qualité du tri des déchets. Le Mans Métropole, qui dispose d’un parc de logements collectifs important et d’une plus forte densité urbaine, a plus de difficultés à trier ses déchets que les territoires voisins (les taux de refus de tri [Il s’agit des déchets refusés par le centre de tri, puisque ne correspondant pas au type et à la qualité des déchets attendus en collecte sélective.] y étant plus importants). Il est toutefois important de replacer les priorités dans l’ordre : selon la hiérarchie des modes de traitement des déchets, réaffirmée par la loi AGEC de 2020, la réduction des quantités de déchets produits est plus importante que le développement du recyclage. Ce constat met ainsi surtout l’accent sur les communes et quartiers les plus aisés où la production de déchets par habitant est quantitativement plus forte.

Pour citer ce document

Sandrine Bacconnier, Nicolas Cochard, Mathieu Durand et Jeanne Perez, 2023 : « Les déchets : une longue histoire d’inégalités écologiques et environnementales dans l’aire urbaine du Mans », in G. Bailly, A. Gasnier, S. Angonnet, Atlas Social du Mans [En ligne], eISSN : 2968-0247, mis à jour le : 24/05/2023, URL : https://atlas-social-du-mans.fr:443/index.php?id=656, DOI : https://doi.org/10.48649/asdm.656.

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Crédits : A. Renaudin, 2023.

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Bibliographie

BERTRAND Jean-René, LAURENT François, 2003, De la décharge à la déchetterie, question de géographie des déchets, Rennes, PUR, 170 p.

DURAND Mathieu, JAGLIN Sylvy, 2012, Inégalités environnementales et écologiques : quelles applications dans les territoires et les services urbains ? Introduction, Revue Flux, n° 89/90 « Inégalités environnementales, services urbains et territoires », p. 4-14. DOI 10.3917/flux.089.0004

BAHERS Jean-Baptiste, PEREZ Jeanne, DURAND Mathieu. Vulnérabilité métabolique et potentialités des milieux insulaires. Le cas de l’île de Ndzuwani (Anjouan), archipel des Comores. Flux - Cahiers scientifiques internationaux Réseaux et territoires, 2019, n° 28-146 (2), p. 128. 10.3917/flux1.116.0128, halshs-02462461

DURAND M., CAVÉ J., DELARUE J., LEBOZEC A., SALENSON I., 2019, Détourner les déchets, innovations socio-techniques dans les villes du Sud, Technical reports AFD, nº 54, p. 184.

EMELIANOFF Cyria, 2006, Connaître ou reconnaître les inégalités environnementales ? Rennes, UMR ESO, ESO Travaux et documents, nº 25, p. 35-43.

Index géographique

Sandrine Bacconnier

Maître de conférences, Le Mans Université, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Doctorante, Le Mans Université, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Résumé

Les inégalités environnementales et les inégalités écologiques sont des résultantes et des paramètres récurrents de la gestion des déchets à travers le monde. Les principaux territoires de production de déchets sont ainsi les pays, les régions ou les quartiers les plus riches (inégalités écologiques). À l’inverse, les déchets sont toujours envoyés pour leur traitement vers les espaces les plus pauvres (inégalités environnementales). Les mêmes logiques sont observées dans la région mancelle.

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