Atlas Social du Mans

Enjeux d'aménagement et inégalités territoriales

La déprise commerciale des quartiers centraux du Mans : quels constats ?

par Arnaud Gasnier, Louis-Thibault Buron et Stanislas Charpentier

planche publiée le 02 mai 2023

Comprendre les processus qui mènent à la vacance commerciale nécessite de poser le regard sur l’organisation de la structure économique du centre-ville à partir d’une lecture géohistorique de l’évolution de l’appareil marchand depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, période de remédiation économique locale récente du cœur de ville.

Les causes de la vacance commerciale

1Comme beaucoup de villes moyennes supérieures dites intermédiaires, le constat d’une augmentation de la vacance commerciale (La vacance commerciale désigne un bien commercial inexploité et sans repreneur à l’achat ou à la location qui, sur le plan fiscal, est inoccupé depuis deux ans sans versement de la cotisation foncière des entreprises) dans le centre-ville du Mans est avéré. Les causes sont multiples. Elles tiennent d’abord à la diminution de la part commerciale de l’appareil économique des quartiers centraux depuis la fin des années 1990 (Figure 1). Alors que les services commerciaux ne représentaient que 16 % des activités marchandes du centre-ville en 1978, ils pèsent plus d’un tiers d’entre elles en 2020. Cette perte progressive de choix catégoriel et de diversité d’enseignes est accentuée encore par la forte implantation d’établissements spécialisés dans la restauration et l’équipement de la personne au détriment de l’équipement de la maison et des loisirs. En parallèle se greffe le processus de banalisation des enseignes liée à l’essor du franchisage national et international. D’une ville à l’autre, la reproduction des enseignes aux produits et vitrines standardisés réduit la diversité commerciale, la singularité marchande, l’effet de surprise, en limitant finalement la fréquentation des consommateurs.

Fig 1- Évolution et typologie des commerces du centre-ville du Mans en 1978, 1999 et 2020

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2En valeurs brutes, si le nombre de commerces centraux en rez-de-chaussée augmente encore au tout début des années 2000 (1 002 locaux commerciaux répertoriés en 1999), la courbe décroît désormais depuis 20 ans (974 commerces en 2020 [Figure 2]). Cette rétractation de l’offre est d’abord structurelle ; elle est liée aux fortes implantations périphériques d’enseignes, massives jusqu’au milieu des années 2010, mais aussi à l’envolée de l’e-commerce qui ne représente pourtant en 2020 qu’à peine 10 % de parts de marché national.

Fig 2- Commerces en rez-de-chaussée dans le centre-ville du Mans entre 1970 et 2020

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3La rétractation observée est également spatiale (cf. Figure 3). En effet, la densité linéaire du commerce est forte en établissements d’équipement de la personne au sud et au nord-est de la place de la République, en restaurants et cafés au nord et à l’ouest de cette même place. Au-delà de l’hypercentre, le commerce s’étire sur quelques grandes radiales excroissantes ; Il devient discontinu et moins dense, alors que la présence des services y apparaît nettement majoritaire.

Fig 3- Typologie et géographie des commerces de centre-ville en 2020

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4Enfin, à partir de la fin des années 2000, l’élévation forte du taux de vacance correspond avant tout à la financiarisation nationale du grand commerce et de l’immobilier commercial, stratégies d’implantation ciblant essentiellement les portes d’agglomérations. En parallèle, localement, la déprise puis stagnation démographique des quartiers centraux sur cette même période, la baisse des emplois in situ, l’évasion des services de santé vers les zones franches péricentrales ou périphériques ou encore celle du siège directionnel des MMA vers le centre d’affaires Novaxis au sud de la gare, sont autant de facteurs dont les effets impactent directement le commerce en termes de réduction des flux d’usagers, de résidents, de clientèles, etc. Pendant longtemps, l’absence de grands projets structurants dans ces quartiers centraux vieillissants, due en partie à une faible disponibilité de foncier mobilisable, contraste avec les créations continues de parcs et centres commerciaux suburbains depuis plusieurs décennies. Les effets combinés de ces actions ou inactions portent le taux de vacance central à plus de 22 % en 2020 (Figure 4) sur un périmètre, certes très étendu, qui ne correspond plus au pôle réel de chalandise du centre-ville aujourd’hui.

Fig 4- Évolution du taux de vacance commerciale dans le centre-ville du Mans

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Les espaces des friches commerciales du centre-ville

5Dans les quartiers centraux, les secteurs touchés par la vacance commerciale évoluent depuis plus de 20 ans. Dans les années 1990, l’enfrichement commercial reste contenu au taux moyen national de 8 % alors que plus de la moitié des enseignes demeure stable sur cette décennie, le taux de renouvellement commercial dépassant à peine 20 % de l’offre. Surtout, la vacance des locaux commerciaux apparaît très polarisée sur le cœur de l’hypercentre à plus de 80 % (Figure 5).

Fig 5- Répartition spatiale de la vacance commerciale dans le centre-ville du Mans

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6Elle correspond essentiellement à des opérations d’urbanisme commercial (commerces souterrains et galerie Bérengère place de la République, Maine 2000 place des Comtes du Maine, galerie des quatre-roues rue des Minimes, Halles de la rue Lecornué) qui n’ont pas fonctionné (Figure 6). Finalement, ces opérations de régénération économique initiales ont très vite accentué la déprise commerciale du centre-ville et modifier sa géographie (Figure 7).

7En effet, cette concentration hypercentrale des boutiques en friche en 1999 contraste avec la plus forte diffusion du phénomène sur les marges du centre durant la décennie 2010-2020.

Fig 6 - Galerie des Quatre roues

1 - Galerie des Quatre roues en 1986.

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2 - Galerie des Quatre roues en 2021.

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Galerie des Quatre roues ouverte en 1986 et fermée en 2002, rue des Minimes.
Dans l’ordre d’apparition :
1 - Galerie des Quatre roues ouverte en 1986, rue des Minimes ;
2 - Galerie des Quatre roues réinvestie après sa fermeture en 2002.

Crédit : A. Gasnier, 2001, 2021. ESO Le Mans.

Après restructuration des 2 500 m2 de surfaces commerciales, une enseigne de prêt-à-porter occupe la totalité de l’ancienne galerie marchande quelques mois plus tard.

8La fermeture de plusieurs galeries (Quatre roues rue des Minimes, Bérengère place de la République) et de petits centres commerciaux (Maine 2000 place des Comtes du Maine) à la fin du XXe siècle et tout début du 21e, résulte de plusieurs processus accumulés et synchrones : manque d’enseignes locomotives, conception linéaire et peu fixative des locaux, concurrence du centre commercial Étoile-Jacobins dès 1992, expansion des zones commerciales périphériques, perte d’habitants en centre-ville, etc.

Fig 7- Vacance commerciale dans le centre-ville du Mans en 2020

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9Alors que le taux de vacance commerciale de la cité Plantagenêt reste stable, ceux de l’avenue du Général Leclerc, de la rue des Minimes et du quartier Gambetta augmentent (cf. photographie, Figure 7). La centralité commerciale se resserre nettement sur la place de la République et la place des Jacobins depuis l’implantation récente et moins récente d’équipements marchands et de loisirs (centre Étoile-Jacobins en 1992, Pathé-Gaumont en 2014, centre de la Visitation en 2019).

10Toutefois, une vacance commerciale structurelle se maintient à proximité de ces deux places ; elle est liée au fait que les services (y compris sur l’avenue Leclerc) et les établissements d’équipement de la personne, mais aussi ceux de l’entretien de la personne et de la restauration-cafés, demeurent en 2016 les catégories de commerce les plus touchées par une fermeture d’activité (Figure 8).

Fig 8- Types de commerces et services fermés dans le centre-ville en 2016

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Vers une redynamisation commerciale ?

11Depuis quelques années, les décideurs politiques locaux prennent conscience de la nécessité de construire une stratégie de redynamisation des espaces marchands du centre-ville. Une vision prospective se dessine peu à peu selon trois démarches : la première émerge dans le cadre du Schéma de cohérence territoriale du Pays du Mans (Scot) et de ses objectifs et orientations d’aménagement commercial désormais obligatoires depuis 2010 (Loi ENE du Grenelle de l’environnement). Il y est prescrit de renforcer le développement commercial et l’attractivité du centre en réponse au renforcement des zones commerciales périphériques encore peu freinées à cette période. Mais, dans le PLUC de 2019, les cellules commerciales d’une surface inférieure à 300 m2 sont interdites dans les zones périphériques définies. Le commerce devient aussi prioritaire dans les périmètres de centralité des quartiers dont ceux du centre-ville. Ensuite, l’appel d’offre lancé localement en 2017 auprès de bureaux d’études en urbanisme commercial constitue une démarche politique locale plus volontariste de demande d’aide à la prescription et à la préconisation. Les premières phases consistent à créer un comité local de gouvernance, à requalifier l’espace public et à développer l’innovation de l’offre marchande (Figure 9) tout en intégrant les moteurs de fréquentation non commerciaux (Habitat, emplois, équipements culturels, mise en tourisme). Enfin, en 2019, Le Mans devient lauréat d’un Appel à manifestation d’intérêt national (AMI). Cet AMI « stratégies d’aménagement commercial » lui permet alors de valoriser les démarches initiales impulsées et surtout de bénéficier d’un accompagnement et d’une expertise d’acteurs nationaux (Procos, Cerema, etc.). Ces modes de concertation et d’échanges d’expériences permettent aux élus de se forger peu à peu une culture de gestion et d’urbanisme commercial(e) aujourd’hui.

Fig 9- Le commerce entre requalification de l’espace public et mise en connexion numérique

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Pour citer ce document

Arnaud Gasnier, Louis-Thibault Buron et Stanislas Charpentier, 2023 : « La déprise commerciale des quartiers centraux du Mans : quels constats ? », in G. Bailly, A. Gasnier, S. Angonnet, Atlas Social du Mans [En ligne], eISSN : 2968-0247, mis à jour le : 24/05/2023, URL : https://atlas-social-du-mans.fr:443/index.php?id=652, DOI : https://doi.org/10.48649/asdm.652.

Autres planches in : Urbanisme

Carte : ESO Le Mans, 2022.

Le zonage commercial aux portes du Mans : permanence ou fin d’un modèle ?

par Arnaud Gasnier, Louis-Thibault Buron et Stanislas Charpentier

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Index géographique

  • République (place de la)
  • Comtes du Maine (place des)
  • Minimes (rue des)
  • Lecornué (rue)
  • Jacobins (place des)

Résumé

Comprendre les processus qui mènent à la vacance commerciale nécessite de poser le regard sur l’organisation de la structure économique du centre-ville à partir d’une lecture géohistorique de l’évolution de l’appareil marchand depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, période de remédiation économique locale récente du cœur de ville.

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