Le zonage commercial aux portes du Mans : permanence ou fin d’un modèle ?
par Arnaud Gasnier, Louis-Thibault Buron et Stanislas Charpentier
Table des matières
Signe de modernité en son temps, symbole d’inadaptation aux transitions écologiques et climatiques aujourd’hui, le modèle du zonage commercial reste encore très présent sur le territoire manceau.
La marque d’une politique et d’un territoire
1Au Mans, le développement des centres et parcs commerciaux d’entrées-sorties de ville caractérise une politique locale et une géographie singulière. Sous les mandatures de Robert Jarry, maire communiste de 1977 à 2001, l’attraction d’enseignes nationales de la grande distribution devient à la fois un enjeu urbain de modernisation de la ville et celui, plus social, d’accès aux produits de consommation à bas prix pour une large part de la population ouvrière modeste. En même temps, seule grande ville de plus de 200 000 habitants du département sarthois, Le Mans concentre les investissements et les implantations d’établissements commerciaux qui ciblent logiquement les terrains agricoles peu coûteux à proximité immédiate des quartiers périphériques denses en populations à l’exemple de Record en 1968, (Carrefour et centre sud aujourd’hui) ou encore de Leclerc à proximité de l’ancienne ZUP d’Allonnes en 1973, point de départ du développement économique des zones du Vivier 1 et 2 aujourd’hui. Mais pour des raisons de grande disponibilité foncière et d’interface démographique privilégiée entre bassins urbains et périurbains de consommation, c’est au nord de l’agglomération mancelle que les phénomènes de concentration, de dédensification, de minéralisation et d’étalement des « boites » d’enseignes (Figure 1) apparaissent avec le plus d’acuité dès l’ouverture du centre commercial Auchan en 1982 (Figure 2).
Fig 1- Zonage monofonctionnel au nord du Mans et commerce en « boites »
Fig 2- Maux économiques et environnementaux de la zone nord mancelle
Un modèle d’urbanisme commercial fini, ralenti ou en accélération ?
2Par planification et agrégation successive de ZAC dans le temps et l’espace, la « zone nord » mancelle devient l’un des plus grands corridors commerciaux français : en 2021, comprenant plus de 55 ha de surfaces plancher d’établissements, plus de 96 ha de parkings asphaltés, l’imperméabilisation expansive des sols et une accessibilité principalement automobile renforcent les problèmes environnementaux déjà aigus. Entre 2000 et 2020, l’accroissement des surfaces bâties in situ enregistre un taux de 63 % et celui des surfaces bitumées de plus de 40 %. Si le rythme d’urbanisation ralentit nettement entre 2010 et 2020, ce n’est pas le cas d’autres zones commerciales plus récentes à l’instar de la zone sud (Le Mans, Mulsanne, Ruaudin) qui a doublé sa surface d’établissements (+ 102,83 %) et triplé ses aires de stationnement durant ces deux dernières décennies (Figure 3). L’avancée progressive du front d’urbanisation périphérique au sud de l’agglomération du Mans suit un processus d’agrégation successive de 3 générations d’opérations d’urbanisme commercial : une zone commerciale ancienne (Le Cormier), un retail park ouvert en 2007 et un centre commercial récemment implanté depuis mars 2021 (Figure 4). Sur ce secteur, le moteur commercial d’urbanisation demeure très actif d’autant que l’extension du Cormier est en projet. Elle doit permettre d’attirer de nouvelles enseignes et de pallier le vieillissement de la zone initiale concurrencée, au nord du corridor en formation, par de nouveaux parcs d’activités dont les parcelles sont en cours de commercialisation.
Fig 3- Maux économiques et environnementaux de la zone sud du Mans
Fig 4- Étalement urbain est-ouest du corridor sud du Mans
3Enfin, à partir de la fin des années 2000, l’élévation forte du taux de vacance correspond avant tout à la financiarisation nationale du grand commerce et de l’immobilier commercial, stratégies d’implantation ciblant essentiellement les portes d’agglomérations. En parallèle, localement, la déprise puis stagnation démographique des quartiers centraux sur cette même période, la baisse des emplois in situ, l’évasion des services de santé vers les zones franches péricentrales ou périphériques ou encore celle du siège directionnel des MMA vers le centre d’affaires Novaxis au sud de la gare, sont autant de facteurs dont les effets impactent directement le commerce en termes de réduction des flux d’usagers, de résidents, de clientèles, etc. Pendant longtemps, l’absence de grands projets structurants dans ces quartiers centraux vieillissants, due en partie à une faible disponibilité de foncier mobilisable, contraste avec les créations continues de parcs et centres commerciaux suburbains depuis plusieurs décennies. Les effets combinés de ces actions ou inactions portent le taux de vacance central à plus de 22 % en 2020 (Figure 4) sur un périmètre, certes très étendu, qui ne correspond plus au pôle réel de chalandise du centre-ville aujourd’hui.
Les espaces des friches commerciales du centre-ville
4Par contre, le ralentissement de l’urbanisation de la zone nord est lié à la conjonction de trois facteurs. Le premier a trait à la maturité de la zone d’activités. Les trois quarts des bâtiments sont construits avant 2000 (Figure 2) selon 4 étapes de remplissage : le centre commercial (élément originel et déclencheur d’attractivité d’enseignes) suivi des grandes et moyennes surfaces spécialisées (GMS, hôtellerie, artisanat), des équipements et enseignes du cinéma multiplexe, du loisir et de la restauration (Zac Villeneuve), puis enfin des retail parks (Parc manceau) « greenwashed ».
5Le deuxième processus à l’œuvre concerne le comblement des dents creuses, dernières parcelles enherbées en attente d’urbanisation (- 40 % en 10 ans) durant une période nationale (2007-2017) de volumes d’implantations effrénés, d’une financiarisation exacerbée du secteur marchand et déconnectée de la réalité des bassins de consommation locale. À cet égard, la crevaison de cette bulle financière constitue un troisième facteur de fragilisation économique de ce pôle de chalandise qui se manifeste par le développement de la vacance commerciale (+ 16 % entre 2017 et 2020) dans des Zac anciennes ou plus récentes (Figure 2) de cette zone nord. La friche devient le signe d’une déprise commerciale évidente, d’une surconcurrence économique de l’offre et d’une inadaptation aux attentes des consommateurs de ce 21e siècle.
Fig 5- Typologie commerciale de la zone nord du Mans
6Certes, la représentation des domaines de spécialisation commerciale jusqu’ici très attractifs y demeure inchangée depuis de nombreuses années, plaçant en tête les services commerciaux, l’équipement de la maison, du jardin, et de la personne (Figure 5) mais négligeant les nouvelles formes de commercialité attendues : commerce de proximité, accès direct aux produits via une marketplace, filières de distribution locale, confort, ambiances qualitatives, sécurisation de déplacements piétonniers, showrooms, conciergerie, réemploi, etc. En parallèle, le maintien d’une forte spécialisation spatiale infra zone du commerce (concentration de l’offre en équipement de la personne au cœur du corridor et de la catégorie des Ho-Ré-Ca sur les Zac des portes de l’Océane et de Villeneuve) (Figure 6), n’aide pas à rompre avec l’héritage de la monofonctionnalité marchande.
Fig 6- Éclatement ou spécialisation sectoriels des activités commerciales de la zone nord
Vers un renouvellement urbain de la zone ?
7Pourtant, la friche doit être perçue comme une opportunité de renouvellement urbain. L’opposition citoyenne désormais récurrente aux mégaprojets commerciaux et à l’hyperconsommation, l’inflexion environnementale revendiquée par les consommateurs, ainsi qu’un urbanisme de régulation foncière plus contraignant depuis quelques années aux échelles nationale (loi Élan de 2018, projet de ZAN) et locale (Scot, PLUI, plans locaux de remédiation commerciale manceau) « freinent » davantage l’expansion des sites commerciaux suburbains. Une nouvelle culture locale de l’urbanisme commercial est en marche sans pour autant s’accompagner aujourd’hui au Mans de projets de renouvellement urbain global de ces zones commerciales.
Fig 7- Zones nord et sud du Mans, vue drone
https://atlas-social.univ-lemans.fr/art653ZInord_hunaudieres/Crédits : Bailly G., Charpentier S., vue drone 2022.
Pour citer ce document
Arnaud Gasnier, Louis-Thibault Buron et Stanislas Charpentier, 2023 : « Le zonage commercial aux portes du Mans : permanence ou fin d’un modèle ? », in G. Bailly, A. Gasnier, S. Angonnet, Atlas Social du Mans [En ligne], eISSN : 2968-0247, mis à jour le : 24/05/2023, URL : https://atlas-social-du-mans.fr:443/index.php?id=653, DOI : https://doi.org/10.48649/asdm.653.
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