Du projet de zone commerciale au contre-projet alternatif d’agriculture de proximité
par Arnaud Gasnier
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L’approche conflictuelle de ce projet d’implantation d’équipements commerciaux, à l’entrée de ville Est du Mans, permet de caractériser les grandes orientations aménagistes des opposants qui renouvellent le paradigme de la fabrique urbaine aujourd’hui au prisme de l’écologie.
Béner ou la fin d’un modèle d’urbanisme commercial hérité du XXe siècle
1À la frontière Est des communes du Mans et Yvré-l’évêque, l’association « les riverains et les amis de Béner » s’est rapidement opposée au projet d’aménagement d’une zone commerciale déposé en 2015 par la Société en Nom Collectif (SNC) Bénermans, dont Claude Hervé, longtemps président des hypermarchés Leclerc sarthois, est partie prenante. Sur 34 hectares, le projet initial rassemblait un centre commercial avec galerie marchande, une « boite » sous enseigne Ikéa et un retail park de l’immobilière Frey. À l’instar de grands projets d’urbanisation avortés en France (Europacity sur le triangle de Gonesse, Surf park artificiel de Saint-Père-en-Retz près de Nantes, Centerparcs de Roybon en Isère, etc.), du fait de nombreuses contestations et oppositions d’associations de défense, les recours successifs (recours contre le permis d’aménager, les permis de construire et l’arrêté préfectoral loi sur l’eau) des opposants ont retardé, pendant plus de sept ans, la réalisation de cette opération d’entrée-sortie de ville, sans pour autant y mettre fin. En effet, si tous les recours ont été rejetés, dont le dernier remonte à juin 2022, le retrait du projet de l’enseigne Ikéa, ce même mois, rend désormais ce projet initial caduque. D’emblée, la SNC Bénermans annonce l’émergence d’un nouveau projet sans lui donner plus de précisions à ce jour. Pour rappel, les 34 hectares de terres initialement maraichères de ce site demeurent toujours la propriété de la société d’investissement précitée.
Plan du projet initial du centre Leclerc, d’Ikéa et du retail parc de l’immobilière Frey
Crédits : A. Renaudin. D'après Socotec HSE, 2016, IGN, 2022.
2Malgré l’absence de maîtrise foncière de la collectivité, et d’autres acquéreurs potentiels (groupement de producteurs, coopératives, etc.), l’intérêt de cette étude de cas réside à la fois dans la caractérisation des objets d’opposition et dans le dessein d’un projet alternatif duquel se dégagent des représentations sociales et des valeurs environnementales à la fois singulières et de plus en plus partagées aux échelles nationale et européenne.
3Au-delà du processus courant de nimby (Not in mybackyard/pas dans ma cour ou mon jardin : refus d’équipements jugés nuisants à proximité de la sphère domestique de résidents) et de l’inacceptation de potentielles nuisances visuelles, paysagères, sonores générées par l’opération d’aménagement commercial elle-même, la contestation vise aussi, prospectivement, les flux augmentés d’automobilistes et de fréquentation de consommateurs in situ. Les infrastructures (voies de desserte des commerces, parkings), les constructions de bâtiments monofonctionnels mis en boites (bétonnisation, pauvreté architecturale, carences en matière d’écoconstruction), l’étalement urbain provoqué par cette urbanisation horizontale dédensifiée et l’imperméabilisation des espaces bâtis et non bâtis, peu renaturés, etc., représentent les principaux éléments décriés par l’association mobilisée. Ces derniers appuient aussi la critique générale d’un modèle de mise en commerce symbolisant la compétitivité, une grande distribution emblématique du gaspillage de ressources, d’une consommation de masse encore vive, d’une logistique et de marchés d’approvisionnement trans et internationaux peu vertueux sur le plan environnemental. En réponse à l’image de croissance mondialisée portée par ces temples modernes de la consommation, jugés décalés, les opposants dénoncent également la multiplication déraisonnable d’enseignes ne répondant pas aux besoins réels des consommateurs usagers et risquant de renforcer, ici ou là, l’emprise des friches commerciales d’autres zones d’activités économiques. Dans le discours, la déconnexion du réel rejoint alors ici celle du local.
4Ainsi, le projet de réaménagement alternatif de cette porte d’agglomération montre bien la volonté des opposants de relocaliser les circuits de distributions dans les territoires de proximité, de rapprocher plus étroitement les bassins de production alimentaire et de consommation. Maraichage, éco pâturage, petits élevages, jardins familiaux partagés, zones naturelles protégées, filières et circuits de distribution courts voire ultra-courts, se substituent aux offres d’enseigne du grand commerce initialement programmées. Ce contre-projet s’appuie nettement sur les récentes injonctions des politiques publiques de transitions socio-écologique et climatique, à commencer par la loi Climat et résilience votée en août 2021 (Loi portant un coup d’arrêt aux projets de zones d’activités économiques (ZAE) supérieure à 10 000 m2 et instituant le Zéro artificialisation net [ZAN]), pour « faire de Béner une zone maraîchère, biologique et durable, et non une énième zone commerciale inutile et nuisible » (Alterres Béner, les champs des possibles. Dossier élaboré par l’association « Les riverains et les amis de Béner », février 2020, 7 pages). En effet, on retrouve ici les grands principes de l’urbanisme durable privilégiant d’abord la non artificialisation des sols partagés entre 24 ha de terres maraîchères biologiques développées en agroforesterie, en permaculture et cultures fruitières, 1,2 ha de zone boisée et 4,5 ha de zone naturelle protégée.
5Aussi, le principe du renouvellement urbain est très présent à partir de la réutilisation de 4,3 ha d’anciennes friches urbaines, de bâtiments existants voués alors au développement de fonctions de valorisation (légumerie pour restaurations collectives, unité de transformation des produits, espaces de vente directe, de restauration bio, de sensibilisation et formation à la permaculture, de production de semences mais aussi d’énergie renouvelable par l’installation d’éoliennes sur la partie haute du site, de gestion des déchets, de compostage, etc.).
6Enfin, si le projet de propriété foncière et de gestion des terres propose plusieurs types de montage potentiel à caractère public (gestion en régie municipale) et/ou privé (solution mixte collectivité – exploitants agricoles, coopératives, associations d’agroécologie, etc.), il n’en demeure pas moins que le partenariat prospectif envisagé reste contraint et soumis aux stratégies d’acteurs locaux concernés : ces dernières sont liées d’abord à la décision de l’investisseur de vendre ces terrains (ce qui n’est pas acté à ce jour), mais aussi à la volonté de la collectivité de Le Mans Métropole de les acquérir en partie ou en totalité (à quel prix ?) et enfin à la viabilité entrepreneuriale de l’opération présentée selon les options retenues in fine dans le cadre du partenariat entre producteurs, distributeurs et commerçants.
Fig 2- Communication de l’association de défense contre le projet initial
Sources : association « Les Riverains et les Amis de Béner », 2023.
Fig 3- plan du contre-projet alternatif de maraîchage biologique proposé par l’association « Les Riverains et les Amis de Béner », février 2020.
https://umap.openstreetmap.fr/fr/map/plan-du-contre-projet-alternatif-de-maraichage-bio_895498#16/48.0039/0.2424Sources : association « Les Riverains et les Amis de Béner », février 2020. Réalisation : A. Renaudin.
Pour citer ce document
Arnaud Gasnier, 2023 : « Du projet de zone commerciale au contre-projet alternatif d’agriculture de proximité », in G. Bailly, A. Gasnier, S. Angonnet, Atlas Social du Mans [En ligne], eISSN : 2968-0247, mis à jour le : 24/05/2023, URL : https://atlas-social-du-mans.fr:443/index.php?id=808, DOI : https://doi.org/10.48649/asdm.808.
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Résumé
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