Atlas Social du Mans

Enjeux d'aménagement et inégalités territoriales

Lutte contre les changements climatiques et intercommunalité : des délimitations en questions

par Guillaume Bailly et Moïse Tsayem-demaze

planche publiée le 21 novembre 2023

Engager un territoire de projets dans la lutte contre les changements climatiques implique de réfléchir à la pertinence de l’aire d’action dans laquelle s’inscrit la démarche. Le découpage intercommunal qui sert de cadre au Plan Climat Air Énergie Territorial (PCAET) du pays du Mans est-il optimal ?

1Après les lois Grenelle 1 (2008) et 2 (2010) qui ont prescrit les plans climat-énergie territoriaux (PCET) aux Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 50 000 habitants, la loi sur la Transition Énergétique pour la Croissance Verte (2015) a prolongé et densifié le dispositif en préconisant les Plans climat air-énergie territoriaux (PCAET) aux collectivités territoriales de plus de 20  000 habitants. L’État a ainsi institué la lutte contre les changements climatiques dans les territoires suite à l’adoption du Protocole de Kyoto en 1997 puis de l’Accord de Paris en 2015. Il s’agit de réduire les consommations d’énergie (50 % à l’horizon 2050) tout en atteignant le seuil de 37 % de part d’énergie renouvelable dans le mix énergétique en 2030. La lutte contre les changements climatiques s’est progressivement territorialisée grâce aux actions locales (Bertrand et Richard, 2014, p. 195-203 ; Godinot, 2011, p. 1-17).

Des recompositions territoriales et des superpositions de périmètres en question

2Les actions envisagées dans les PCAET posent des questions d’interdépendance des dispositifs, de faisabilité technique, et d’efficience, qu’il s’agisse de mobilité, d’habitat, de gestion des ressources naturelles, etc. Comment les déployer dans l’espace géographique au gré des recompositions intercommunales qui se sont multipliées ces dernières décennies ? Quelle configuration géographique pertinente pour engager et mettre en œuvre des actions d’atténuation et d’adaptation ? La Métropole ? Les communautés de communes ? Un bassin de vie ? Un périmètre naturel (bassin hydrographique) ? Un périmètre éligible aux subventions européennes ? (Figure 1).

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Fig 1- Périmètres d’action, quelles échelles territoriales pertinentes pour l’atténuation des changements climatiques ?

Sources : DGCL, Pays du Mans, Le Mans Métropole, Syndicat Mixte du Pays du Mans, 2021. G. Bailly, M. Tsayem-Demaze, ESO Le Mans et Yann Fauconnier, Pays du Mans.

Le PCAET du Pays du Mans : un cadre d’actions pour l’atténuation et l’adaptation

3La Communauté Urbaine du Mans Métropole a transféré sa compétence d’élaboration, de suivi et d’évaluation du PCAET au Pays du Mans (2020-2026) dans la continuité du premier plan (2014-2020). Après un diagnostic établi autour de plusieurs axes (consommation d’énergie, émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques, production d’énergies renouvelables, vulnérabilités du territoire aux changements climatiques, stockage carbone), les élu(e)s fixent des objectifs stratégiques à court, moyen et long terme pour le territoire. Pour répondre à ces objectifs, les acteurs du territoire fixent des actions à mener dans les axes stratégiques identifiés. Dans le cadre du PCAET du Pays du Mans, elles sont organisées en six axes dont un transversal (faire vivre le PCAET) et cinq thématiques résumés dans la Figure 2. Vous retrouvez en détail les objectifs et les actions sur le site du Pays du Mans.

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Fig 1- Des axes de travail transversaux pour lutter contre les effets du changement climatique.

Crédits : G. Bailly, M. Tsayem-Demaze, ESO Le Mans et Yann Fauconnier, Pays du Mans.

4Si la compétence PCAET est transférée au Pays du Mans, la mise en œuvre concrète doit être réalisée par l’ensemble des acteurs du territoire et donc, à toutes les échelles. Ce chantier pose bien des défis méthodologiques pour tendre vers des résultats concrets sur le long terme que les deux figures en ligne illustrent, entre autres.

Politique de sobriété à l’échelle du bâtiment et disparités financières

5La rénovation énergétique des bâtiments est un levier important d’atténuation et d’adaptation. Pour être efficace, cette politique doit s’accompagner de mesures sur l’efficacité et la sobriété énergétique qui permettent de réduire la consommation d’énergies fossiles, in fine, les émissions de gaz à effet de serre. Les fonds alloués à cette thématique dans le cadre du plan France Relance et du Fonds Verts confirment l’effort financier à réaliser par les collectivités territoriales. Toutefois, certaines collectivités n’ont pas l’ingénierie et/ou les financements nécessaires pour mener leurs projets en phase amont (études, maître d’ouvrage, maître d’œuvre) et aval (investissements, subventions). Ainsi, le mécanisme de mutualisation intervient et permet à des acteurs « compétents » (au sens juridique, financier, énergétique ou sur le plan de l’ingénierie) d’accompagner plusieurs communes, communautés de communes via le même appel à projets (AAP, AMI, …), la même structure (SEM, SPL, …) ou le même mécanisme de financements (fonds de concours, interaction, etc.)

6Cette méthode de coopération (souvent technique et financière) fonctionne à plein au prorata du nombre de collectivités engagées ensemble dans la démarche. En réalité, ce mécanisme cache des inégalités de moyens et d’ingénierie entre collectivités. Ces disparités s’accentuent d’ailleurs dans un contexte de relance où les fonds publics sont de plus en plus alloués via des Appels à Projets nécessitant une forte réactivité. C’est le cas pour l’Appel à manifestation d’intérêt à destination des bâtiments municipaux (AMI) SEQUOIA dont le Pays du Mans est lauréat. Il se destine exclusivement à des communes rurales, à travers la démarche ETRIER (Énergie, Transition, Rural, Idée, Envie, Rénovation) comme l’illustre la figure 3. En revanche, il est parfois plus difficile d’engager d’autres initiatives en dehors de ces opportunités. À titre d’exemple, un syndicat d’énergie départemental pourrait permettre de coordonner les démarches engagées sur le plan énergétique et éviter la prise en charge de l’intégralité de ces missions par les Pays, dont les périmètres ne couvrent pas intégralement la maille municipale.

7Ces dynamiques posent la question de la bonne échelle d’action pour atteindre les objectifs fixés en matière de transition écologique sur le plan de la neutralité carbone. De plus, ce sujet pose la question de la compétence interne à la collectivité : déléguer à un acteur mutualisant une compétence entraine-t-il la perte de capacité de la commune ou un gain de capacité d’investissement supplémentaire sur une autre problématique plus localisée ?

Stockage carbone, jeu d’échelles et diversité des protocoles méthodologiques

8La France, avec la Stratégie Nationale Bas Carbone, souhaite atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) a intégré l’évaluation du stockage carbone dans les PCAET dans la droite ligne de l’initiative 4 pour 1000 initiée par la COP21 (https://www.4p1000.org/fr, 2015, p. 1). Dans ce cadre, le Pays du Mans s’est fixé cet objectif de neutralité carbone à long terme. Dans la pratique, de nombreuses communes, intercommunalités, Départements et Régions, se fixent parfois cette ambition à partir de sources de données différentes sans stratégie commune multi-niveau. Par exemple, en Région Bretagne, certains PCAET se fondent sur une étude précise réalisée par leur agence d’urbanisme, alors que le Pays du Mans effectue l’exercice en analysant les données fournies par l’association agréée Air Pays de la Loire qui n’utilise pas les mêmes sources. Ce constat soulève de nombreuses questions : les services de l’État (départementaux, régionaux et nationaux) additionnent, au final, des chiffres issus de méthodes différentes de comptage pour donner une tendance. Par ailleurs, les différentes méthodes d’estimation des stocks carbone sont plus ou moins précises avec des atouts et des inconvénients. Les images prises par drone à Moncé-en-Belin (Figures 4 et 5) nous montrent qu’en marge ou au cœur même du processus d’urbanisation, une prairie peut offrir un réel potentiel de stockage.

Fig 3- Moncé-en-Belin, potentialités de stockage du carbone dans des prairies

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Crédits : Bailly G., Charpentier S., vue drone 2022.

Fig 4- Moncé-en-Belin, interfaces urbain/rural et potentialités de stockage du carbone dans des prairies

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Crédits : Bailly G., Charpentier S., vue drone 2022.

9Cependant, quelles données pertinentes utiliser ? Comment procéder concrètement ? Comptabiliser les arbres, un ensemble de bosquets, une étendue de prairie ? La question du décompte sur le long terme ne relève en rien de l’évidence. Une telle démarche pose en effet la question des méthodes, des échelles, des objets. La question des périmètres d’étude se pose aussi, ainsi que la prise en compte du principe de déstockage qui peut permettre la libération d’emprises pour d’autres types d’occupation du sol. Il s’agit d’un enjeu stratégique sur le plan de l’aménagement du territoire à travers les SCOT, compte tenu de l’évolution du cadre législatif et du zéro artificialisation nette qui implique de jouer sur une réduction drastique de l’étalement urbain. Il s’agit là sans doute d’une problématique de fond qui mérite d’être soulevée pour en valoriser les résultats, innover, en assurer la visibilité, la diffusion.

Pour citer ce document

Guillaume Bailly et Moïse Tsayem-demaze, 2023 : « Lutte contre les changements climatiques et intercommunalité : des délimitations en questions », in G. Bailly, A. Gasnier, S. Angonnet, Atlas Social du Mans [En ligne], eISSN : 2968-0247, mis à jour le : 22/11/2023, URL : https://atlas-social-du-mans.fr:443/index.php?id=847, DOI : https://doi.org/10.48649/asdm.847.

Autres planches in : Environnement, transition énergétique

Carte : G. Bailly, 2022.

La Sarthe, l’Huisne et la ville du Mans

par Jeannine Corbonnois, Guillaume Bailly et Hugo Meunier

Voirla planche intégrale 

Bibliographie

Bertrand F., Richard E., 2014. L’action des collectivités territoriales face au « problème climat » en France : une caractérisation par les politiques environnementales. Natures Sciences Sociétés, vol. 22, 2014/3, p. 195-203.

Godinot S., 2011. Les plans climat énergie territoriaux : voies d’appropriation du facteur 4 par les collectivités et les acteurs locaux ? Développement durable et territoires, vol. 2, no 1.

Moïse Tsayem-Demaze

Professeur, Le Mans Université, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Moïse Tsayem-Demaze

Résumé

Engager un territoire de projets dans la lutte contre les changements climatiques implique de réfléchir à la pertinence de l’aire d’action dans laquelle s’inscrit la démarche. Le découpage intercommunal qui sert de cadre au Plan Climat Air Énergie Territorial (PCAET) du pays du Mans est-il optimal ?

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